Titres Titres
- Un tournant réglementaire pour les actifs numériques
- JPYC : un stablecoin entièrement collatéralisé par des actifs liquides
- Des usages diversifiés et une ambition quantitative forte
- Une impulsion potentielle pour le marché des obligations japonaises
- Un écosystème stablecoin en pleine expansion au Japon
- Vers une finance locale renforcée : une incitation à s’intéresser
Le Japon annonce une avancée majeure dans son cadre réglementaire : l’approbation prochaine de son tout premier stablecoin adossé au yen, une première nationale très attendue dans la finance numérique. Cet actif numérique, qui devrait servir pour les transferts internationaux, les paiements d’entreprise et la finance décentralisée (DeFi), pose la question suivante : dans quelle mesure cette initiative pourrait-elle transformer les paiements transfrontaliers et les marchés financiers domestiques ?
Un tournant réglementaire pour les actifs numériques
Depuis l’amendement de sa réglementation sur les crypto-actifs en juin 2023, le Japon considère les stablecoins comme des « currency-denominated assets », une catégorie qui permet de les distinguer clairement des cryptomonnaies classiques dans le cadre du Payment Services Act. Seules les banques, les sociétés de fiducie et les entreprises enregistrées comme prestataires de services de transfert d’argent peuvent désormais en émettre.
Le fait que JPYC, entreprise fintech basée à Tokyo, se prépare à s’enregistrer très prochainement comme opérateur de transfert d’argent ouvre la voie à une introduction en douceur du stablecoin dans le paysage financier légal japonais. L’approbation réglementaire pourrait intervenir dès octobre 2025. Ainsi, ce projet s’inscrit dans une stratégie claire visant à donner aux acteurs une stabilité réglementaire propice à l’innovation.
Cette réglementation a été mise en place en réaction aux effondrements de certains projets de stablecoins non collatéralisés dans le monde, tels que TerraUSD en 2022, qui a entraîné des pertes colossales pour les investisseurs. En imposant un encadrement strict, les autorités japonaises cherchent à prévenir de tels désastres et à protéger les épargnants.
JPYC : un stablecoin entièrement collatéralisé par des actifs liquides
Le stablecoin, également nommé JPYC, sera maintenu au pair avec le yen (1 JPYC = 1 JPY) grâce à une réserve constituée de dépôts bancaires et d’obligations d’État japonaises. Cette approche garantit une liquidité immédiate tout en assurant la confiance des utilisateurs, particuliers comme entreprises et investisseurs institutionnels. Les utilisateurs pourront convertir leurs yens en tokens via virement bancaire, puis les recevoir dans des portefeuilles numériques.
La transparence constitue un élément central du projet : JPYC a annoncé vouloir publier régulièrement des rapports d’audit sur ses réserves, à l’instar des grands émetteurs internationaux comme Circle pour l’USDC. Cette mesure vise à renforcer la confiance des investisseurs, en particulier dans un pays où la sécurité et la transparence financière restent des priorités majeures.
Le lancement du JPYC pourrait également stimuler l’innovation chez les fintechs japonaises, qui pourraient développer de nouveaux services de paiement, de gestion de trésorerie et de microfinance autour de cet actif stable. En ce sens, le stablecoin s’annonce comme un catalyseur pour l’écosystème financier numérique national.
Des usages diversifiés et une ambition quantitative forte
Parmi les cas d’usage envisagés figurent notamment :
- les envois d’argent vers l’étranger à moindre coût et en temps réel ;
- les paiements entre entreprises sur des plateformes décentralisées ;
- l’usage en DeFi pour accéder à des services financiers innovants ;
- la tokenisation d’actifs réels comme l’immobilier ou les œuvres d’art, facilitée par la stabilité du JPYC.
JPYC s’est fixé un objectif ambitieux : émettre pour 1 000 milliards de yens de tokens (environ 6,8 milliards de dollars au taux actuel) sur les trois années à venir. Cette perspective attire déjà l’intérêt des hedge funds et des family offices, curieux d’exploiter ce nouveau moyen de transfert de valeur tout en bénéficiant d’une régulation claire.
Cette adoption potentielle pourrait aussi favoriser les petites et moyennes entreprises (PME), souvent confrontées à des frais élevés lors de transactions internationales. Grâce au JPYC, elles pourraient réduire leurs coûts tout en gagnant en rapidité, ce qui constitue un avantage compétitif sur un marché mondialisé.
Une impulsion potentielle pour le marché des obligations japonaises
L’un des effets les plus significatifs pourrait venir du marché obligataire : à l’instar des émetteurs occidentaux de stablecoins adossés au dollar, JPYC pourrait devenir un acheteur régulier de bons du Trésor japonais, renforçant ainsi la demande pour ces titres. L’un des porte-parole de JPYC, Okabe, a suggéré que « JPYC achetera massivement des obligations d’État japonaises », ce qui pourrait, selon lui, exercer une pression à la baisse sur les taux d’intérêt.
Le Japon, qui détient déjà une dette publique représentant plus de 250 % de son PIB, verrait ainsi un nouvel acteur institutionnel participer au financement de ses obligations. Si cette dynamique se confirme, elle pourrait contribuer à stabiliser les taux et offrir un nouvel équilibre au marché domestique.
Pour certains analystes, l’arrivée d’un stablecoin adossé au yen pourrait même renforcer le rôle international de la devise japonaise. Aujourd’hui, moins de 5 % des paiements mondiaux sont réalisés en yen, contre près de 42 % en dollar selon SWIFT. L’usage de JPYC pourrait, à terme, élargir cette part.
Un écosystème stablecoin en pleine expansion au Japon
La dynamique engagée par JPYC s’inscrit dans un mouvement plus large : plus tôt cette année, Circle a obtenu l’aval de l’Agence des services financiers pour lancer USDC au Japon, via SBI VC Trade dès mars. Cette approbation a permis l’intégration de ce stablecoin sur de grandes plateformes d’échange japonaises, telles que Binance Japan ou bitFlyer, déjà largement fréquentées.
La technologie blockchain est en train de remodeler la manière dont nous concevons la monnaie et les paiements.
Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, lors d’un discours à Francfort en septembre 2022
Ce succès des stablecoins, qui représentent désormais un marché mondial de plus de 280 milliards de dollars, montre la montée en puissance des jetons adossés à des devises – et cette fois, le yen entend gagner ses lettres de noblesse numériques. Les comparaisons avec le yuan numérique en Chine ou l’euro numérique en cours de réflexion en Europe illustrent bien la compétition mondiale autour des monnaies numériques de banque centrale et des stablecoins privés.
Vers une finance locale renforcée : une incitation à s’intéresser
L’approbation imminente de JPYC pourrait constituer une étape stratégique pour renforcer la souveraineté financière numérique du Japon. En intégrant un stablecoin local réglementé, le pays se dote d’un outil performant pour ses échanges régionaux tout en consolidant sa position dans le développement des infrastructures financières basées sur la blockchain.
Au-delà des usages financiers, ce projet ouvre une réflexion plus large : le yen numérique pourrait-il devenir une référence pour les paiements dans les secteurs de la culture, du tourisme ou du commerce en ligne ? À l’heure où plus de 70 % des Japonais utilisent déjà des solutions de paiement digital comme PayPay ou Line Pay, l’intégration d’un stablecoin officiel pourrait se faire plus rapidement qu’attendu.