Titres Titres
- Un modèle économique construit sur la rareté
- La place croissante des frais de transaction
- La sécurité du réseau face aux attaques théoriques
- La tentation de modifier le contrat social
- Une industrie en mutation entre Bitcoin et intelligence artificielle
- Vers une nouvelle utilité de l’espace de bloc
- Un futur à construire collectivement
Depuis sa création en 2009, Bitcoin repose sur un mécanisme de sécurité original, celui du minage. Les mineurs assurent la validation des transactions et la solidité du réseau en échange d’une rémunération. Mais cette rémunération est amenée à évoluer, et cela soulève une interrogation centrale : que se passera-t-il lorsque l’émission de nouveaux bitcoins cessera presque totalement ?
Cette question, connue sous le nom de « security budget », oppose depuis plusieurs années économistes, ingénieurs et investisseurs. La survie de Bitcoin dépend-elle vraiment de l’équilibre entre récompenses de blocs et frais de transaction ?
Un modèle économique construit sur la rareté
Le protocole Bitcoin repose sur une émission dégressive de nouvelles unités monétaires. Tous les 210 000 blocs, soit environ tous les quatre ans, a lieu le « halving » : la récompense de bloc versée aux mineurs est divisée par deux. Le prochain est attendu autour d’avril 2028.
Ce mécanisme continuera jusqu’en 2140, date à laquelle l’offre aura atteint sa limite programmée de 21 millions de bitcoins. En réalité, ce chiffre n’est jamais véritablement atteint mais constitue une asymptote, la plus petite unité étant le satoshi, soit 0,00000001 BTC.
Ce plafonnement est au cœur de l’identité de Bitcoin. Contrairement aux monnaies fiduciaires, il garantit un taux d’inflation nul à terme. Mais il soulève aussi une question cruciale : comment inciter les mineurs à continuer de sécuriser le réseau lorsqu’il n’y aura plus de nouvelles pièces à distribuer ?
La place croissante des frais de transaction
Les mineurs disposent de deux sources de revenus : la subvention de bloc et les frais payés par les utilisateurs. Avec la diminution programmée des subventions, les frais devraient prendre le relais. Mais aujourd’hui, leur part reste limitée.
Selon un rapport de Grayscale, les revenus des mineurs se sont élevés à environ 15 milliards de dollars en 2024, soit trois fois plus qu’en 2019 et 2020. La majeure partie provenait encore des nouvelles émissions de bitcoins, bien que les frais aient augmenté en valeur absolue.
En 2025, les revenus quotidiens du secteur avoisinaient 50 millions de dollars. Cela illustre à la fois la maturité croissante de l’industrie et le rôle central du prix du bitcoin dans l’équation. La rentabilité du minage reste élevée si l’accès à une électricité bon marché est garanti.
La sécurité du réseau face aux attaques théoriques
Un autre angle de réflexion porte sur la robustesse du réseau face à une attaque dite « 51 % ». Si un acteur concentrait plus de la moitié de la puissance de calcul, il pourrait réécrire la blockchain.
Nick Carter, lors d’une conférence au MIT en 2019, estimait que la sécurité devait être évaluée soit par un seuil minimal de ressources nécessaires à une attaque, soit par un pourcentage proportionnel à la capitalisation totale de Bitcoin. Dans les deux cas, la complexité matérielle et énergétique rend ce scénario extrêmement difficile à concrétiser.
Bitcoin est comme un coffre-fort qu’on ne peut ouvrir qu’en y lançant une bombe nucléaire : oui, il serait brisé, mais il perdrait aussitôt toute sa valeur.
Eric Larchevêque, entrepreneur français, sur X, 2023
En d’autres termes, une attaque réussie détruirait l’intérêt même de posséder les bitcoins volés. Le coût réel dépasserait largement les gains potentiels.
La tentation de modifier le contrat social
Face à ces débats, certains proposent de modifier la règle intangible des 21 millions, afin de maintenir une inflation permanente qui rémunérerait les mineurs. Techniquement faisable, cette idée se heurte à un obstacle majeur : la confiance.
L’attrait de Bitcoin repose sur sa prévisibilité monétaire. Changer ce paramètre reviendrait à briser le contrat social qui unit ses utilisateurs. Comme le rappelle souvent la communauté, Bitcoin n’est pas seulement un code informatique : c’est une promesse de stabilité.
Une industrie en mutation entre Bitcoin et intelligence artificielle
Le secteur du minage ne fonctionne pas en vase clos. Depuis deux ans, une partie des grandes fermes réoriente leurs capacités vers l’intelligence artificielle, plus rentable à court terme pour un même kilowatt consommé. Des acteurs comme CoreWeave ou Terrawolf arbitrent entre ASICs dédiés à Bitcoin et GPU utilisés pour l’IA. Cette bascule ralentit la croissance du hashrate de Bitcoin, soutenant mécaniquement les revenus de ceux qui restent actifs sur le réseau :
- Certains sites miniers du Texas participent aux mécanismes de flexibilité énergétique, s’alignant sur les contraintes du gestionnaire de réseau ERCOT ;
- La rentabilité est désormais comparée entre le « hash price » de Bitcoin et la valeur générée par l’IA, renforçant l’interdépendance des deux filières ;
- L’industrialisation du secteur progresse : intégration aux réseaux électriques, synergies avec les data centers, optimisation des profils de charge.
L’IA agit aujourd’hui comme un amortisseur : elle absorbe une partie de la capacité électrique et réduit la concurrence directe entre mineurs, maintenant un certain équilibre économique.
Vers une nouvelle utilité de l’espace de bloc
Il serait réducteur de considérer Bitcoin uniquement comme un moyen de paiement. L’espace de bloc, ressource numérique rare, devient un bien immobilier de grande valeur. Au-delà des transferts, il peut servir à ancrer des preuves, à régler des opérations financières ou à sécuriser des applications. Comme l’or hier, Bitcoin tend à se transformer en actif de garantie ultime, utilisable comme collatéral dans les marchés de capitaux.
À l’avenir, la demande d’espace de bloc pourrait croître de manière exponentielle, non pas grâce à des millions de paiements quotidiens, mais via des usages financiers invisibles pour le grand public, comparables aux infrastructures Fedwire aux États-Unis ou Target2 en Europe.
Un futur à construire collectivement
Si les frais de transaction devaient être multipliés par 100, cela semblerait prohibitif pour un utilisateur individuel, mais resterait marginal pour une banque internationale. Cette réalité illustre que le modèle de sécurité de Bitcoin dépendra sans doute moins des particuliers que des institutions financières. L’essentiel sera que l’espace de bloc demeure attractif pour les usages critiques, garantissant ainsi la rentabilité des mineurs.
La question du security budget n’est donc pas seulement technique : elle touche à la confiance, aux usages et à la capacité du réseau à évoluer avec les besoins économiques. Le débat reste ouvert, mais il invite chacun à s’interroger : quelle place voulons-nous donner à Bitcoin dans les infrastructures financières de demain ?