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Le 24 septembre 2025, Vitalik Buterin, cofondateur d’Ethereum, a publié un texte appelant à repenser les fondations du numérique. Selon lui, les sociétés ouvertes de demain devront concilier deux impératifs qui semblent opposés : rendre les systèmes transparents et vérifiables tout en protégeant la confidentialité des données personnelles.
Cet équilibre, difficile à atteindre, est selon lui indispensable pour préserver la confiance collective et éviter que les technologies critiques ne deviennent des outils de domination.
Transparence et confidentialité, un double impératif
Vitalik Buterin insiste sur une nuance fondamentale : la transparence garantit que les systèmes numériques fonctionnent comme prévu, sans manipulation cachée, et permet à chacun de vérifier par lui-même leur intégrité. La confidentialité, à l’inverse, protège les informations sensibles des regards indiscrets. Ces deux exigences sont trop souvent perçues comme incompatibles. Les blockchains actuelles, conçues pour maximiser la vérifiabilité, rendent visibles toutes les transactions, mais laissent peu de place à la vie privée.
Pour dépasser cette contradiction apparente, Buterin met en avant des solutions issues de la recherche cryptographique. Les preuves à divulgation nulle de connaissance ou le chiffrement homomorphe permettent de démontrer qu’une opération est correcte sans révéler les données sous-jacentes. Ces outils ouvrent la voie à des systèmes à la fois ouverts et respectueux de la confidentialité, une perspective qui pourrait transformer l’usage du numérique bien au-delà de la blockchain.
Pourquoi cet enjeu devient stratégique ?
Si Buterin insiste autant, c’est parce que la dépendance croissante aux technologies numériques ne relève plus seulement de l’innovation mais de la souveraineté. Les infrastructures numériques structurent déjà la santé, la gouvernance, la communication et l’économie. Lorsqu’elles sont fermées, elles placent les citoyens et même les États dans une position de dépendance vis-à-vis de quelques entreprises capables d’imposer leurs règles. À terme, cette concentration de pouvoir risque d’éroder la confiance sociale et démocratique.
À l’inverse, des sociétés qui maîtrisent leurs propres outils ouverts et vérifiables disposent d’un avantage stratégique. Elles peuvent garantir un contrôle citoyen, résister aux tentatives d’ingérence extérieure et bâtir des modèles de gouvernance plus démocratiques. Pour Buterin, ce choix n’est pas accessoire mais décisif : il déterminera quelles nations et quelles communautés resteront maîtresses de leur destin numérique.
Des exemples concrets : santé et gouvernance
Pour illustrer ses propos, Buterin cite des secteurs particulièrement sensibles. La santé en est le premier exemple. Les plateformes centralisées de gestion des données médicales facilitent certes la recherche et la coordination des soins, mais elles créent aussi de nouvelles vulnérabilités. Une base de données piratée peut devenir une arme de chantage, alimenter des discriminations dans les assurances ou cibler certaines populations.
Plus inquiétant encore, le développement des interfaces cerveau-machine laisse entrevoir la possibilité que des signaux neuronaux puissent être lus ou manipulés. Ce qui relevait hier de la science-fiction prend aujourd’hui une dimension bien plus concrète.

La gouvernance numérique pose un autre défi. Les systèmes de vote électronique utilisés dans certains pays reposent souvent sur des logiciels fermés, impossibles à auditer. Ils offrent peu de garanties de transparence et nourrissent la défiance. Pour Buterin, ces deux domaines montrent clairement que la performance ne peut pas primer sur la confiance. Il faut des infrastructures ouvertes, vérifiables et conçues pour protéger la vie privée, faute de quoi la légitimité démocratique et la sécurité individuelle seront compromises.
Des freins techniques et économiques persistants
Mais traduire cette vision en réalité n’est pas simple. Les solutions cryptographiques capables de concilier transparence et confidentialité restent complexes et coûteuses. Elles demandent davantage de puissance de calcul, ralentissent les applications et ne sont pas encore prêtes à une adoption massive. Ce frein technique explique pourquoi la plupart des blockchains et plateformes numériques se contentent encore d’arbitrages imparfaits entre ouverture et confidentialité.
À cette difficulté s’ajoute une contrainte économique. Les grandes entreprises du numérique n’ont pas intérêt à rendre leurs systèmes totalement ouverts. L’opacité leur permet de protéger leur modèle d’affaires, de verrouiller leurs utilisateurs et de capter davantage de valeur. Inverser cette logique demanderait un effort collectif considérable, et impliquerait de prioriser la confiance publique sur les gains immédiats. Buterin estime pourtant que cet effort est incontournable, notamment dans les secteurs où la fiabilité est un bien commun vital.
Des pistes d’action pour amorcer la transition
Plutôt que d’exiger une transformation brutale, Vitalik Buterin propose une approche progressive. Il suggère de commencer par des domaines où l’enjeu de confiance est plus important que la performance brute : la santé, les communications sécurisées, le vote électronique ou encore les composants critiques des systèmes publics. Ces terrains d’expérimentation permettraient de démontrer la viabilité d’architectures ouvertes et vérifiables, tout en préservant la confidentialité des individus.
Il est irréaliste d’atteindre une sécurité et une ouverture maximales pour tout. Mais nous pouvons commencer par rendre ces propriétés disponibles là où elles comptent vraiment.
Vitalik Buterin, cofondateur d’Ethereum
Il appelle également à renforcer l’usage des licences open source et des modèles de type copyleft. Sans cela, même des technologies initialement ouvertes pourraient être captées et verrouillées par des acteurs dominants. La transparence doit aller de pair avec une gouvernance partagée pour éviter que les avancées collectives ne soient privatisées. Cette vision dépasse donc la seule sphère technique : elle implique aussi un choix politique et sociétal sur la manière dont nous voulons organiser le numérique.
L’écosystème crypto face à ce défi
Cette réflexion concerne directement Ethereum et, plus largement, l’ensemble des blockchains. Depuis leur création, elles ont incarné la transparence et la décentralisation, avec des registres publics consultables par tous. Mais cette radicalité atteint ses limites : lorsqu’il s’agit de données personnelles, l’exposition totale n’est plus tenable. Les blockchains actuelles ne peuvent donc pas, en l’état, répondre aux exigences de confidentialité que soulève Buterin.
Certains projets comme Monero ou Zcash se sont concentrés sur l’anonymat des transactions. Ils offrent des pistes intéressantes mais restent marginaux, et surtout peu compatibles avec une adoption institutionnelle à grande échelle. La vision défendue par Buterin est plus ambitieuse : dépasser ces approches fragmentées pour construire un socle commun où transparence et confidentialité ne seraient plus des choix exclusifs mais les deux piliers d’une même architecture. Un projet qui pourrait redéfinir en profondeur l’avenir de la crypto et, au-delà, celui des sociétés numériques.